Français

Série 2000 - 2001

Le désarroi… L’incertitude… De quoi s’agit-il ? Quel trouble s’impose, quel trouble essentiel ? Ces images ne sont pas des photographies.

Ou, pour être plus précis, elles n’ont aucun des attributs d’une photographie qui ne peut s’empêcher d’être impérative. C’est que, d’ordinaire (ou souvent, trop souvent), la photographie montre moins qu’elle n’affirme. C’est ça. C’est comme ça. C’est à ça que ça ressemble. À prendre ou à laisser. Elle assène des apparences. Et, certitude ressassée, assure que « ça a été »… Ça a été et événement, cet accident, cet instant où… Ça a été ce geste, ce cri, ce sourire. Et la mémoire n’en finit pas de prendre à témoin cette preuve de formes, de lumières et d’ombres.  Ça s’est passé comme ça. Passé composé. (Au besoin recomposé de retouches en magouilles, ce qui ne change rien - ou pas grand chose - à l´affaire. Demandez aux régimes totalitaires d'une part, et aux historiens d'autre part...) Et la mémoire se repaît de ces documents impérieux qui témoignent, garantissent et certifient que ça s’est passé comme ça, qu’il ou qu’elle avait cette tête là, que et que et que… Et la mémoire de raconter. Chroniques, récits, rapports, etc.

Le désarroi… L’incertitude… De quoi s’agit-il ? Quel trouble s’impose, quel trouble essentiel ? Ces images ne sont pas des photographies. La « preuve », ce silence. Ou ces silences.

La description « patine » sur ces images. Ce qui se passe là se contrefiche de ce qui se dit, de ce qui pourrait essayer de se dire… C’est un lit couvert d’un drap blanc, un lit entouré de rideaux blancs, un lit à l’aplomb duquel pend cette poignée que l’on appelle un perroquet. Et alors ? C’est une flaque sur le sol, une flaque sur un sol sale, une flaque dans laquelle se reflètent des façades. Et alors ? Ce sont des murs et c’est une grille et, au-delà, la diagonale d’une lumière qui descend d’un soupirail. Et alors ? Et alors ? Et alors ?… Toujours la description achoppe. Rien de ce qui se dit ne rend le moindre compte de ce qui est donné à voir.

Le désarroi… L’incertitude… De quoi s’agit-il ? Quel trouble s’impose, quel trouble essentiel ? Ces images ne sont pas des photographies. La « preuve », ce n’est pas avec la mémoire qu’elles dialoguent, c’est avec l’oubli. Ou avec l’abandon, son complice. « Pose » pour ces photographies non ce qui se passe ou ce qui s’est passé mais l’absence. Ou une sorte de retraite. Espaces, objets et lieux « en retraite ». Expression qu’un dictionnaire usuel alphabétique et analogique de la langue française qualifie, entre parenthèses, de vieilli. Posent des espaces relégués, en exil de ce qui aura été leur histoire. Celle d’un hôpital, d’une abbaye, d’une prison, de caves peut-être, de… Ce qui n’a plus la moindre importance.

Le désarroi… L’incertitude… De quoi s’agit-il ? Quel trouble s’impose, quel trouble essentiel ? Ces images ne sont pas des photographies. Pose l’abandon. Pose la poussière. C’est l’ordre de Bossuet répété toujours : « Dormez votre sommeil et demeurez dans votre poussière. » La réalité n’est plus que traces. Et ces traces ne sont l’affaire ni de la nostalgie ni de la morosité.

Et, dépouillées des bruissements et des rumeurs de la mémoire, ces images, où la couleur est en retrait, ne sont plus que silence, que lumière. Elles sont une ascèse.

Le désarroi… L’incertitude… De quoi s’agit-il ? Quel trouble s’impose, quel trouble essentiel ? Ces images ne sont pas des photographies. Parce qu’elles se refusent à faire de la retape, à racoler. Elles sont une exigence.  Elles somment de reconnaître le temps. Le temps qui a posé. Reste à songer à ces mots d’Euripide : « Le temps révèle tout et n’attend pas d’être interrogé. »

Pascal Bonafoux
In « Eric Aupol, photographies 2000-2004 »
Images En Manœuvres éditions

  English 

2000-2001 series

Confusion ... Uncertainty ... What is it about? What distress is necessary, what essential distress? These images are not photographs.

Or, to be more precise, they have none of the attributes of a photograph which cannot help but be imperative. Ordinary (or often, too often), the photograph shows less than it asserts. That's all. It's like that. That's what it looks like. Take it or leave it. It hits with appearances. And, dwelled on certainty, ensures that "it was" ... It was this event, this accident, this moment when ... It was this gesture, cry, smile. And the memory don't stop to show this evidence of shapes, lights and shadows. It happened like this. Composed past. (If necessary, reconstructed with skulduggery modifications, which changes nothing - or very little. Ask totalitarian regimes on one hand, and the historians on the other hand...) And the memory revels in these imperious documents that testify, guarantee and certify that it happened like that, that he or she had that face, and that and that ... and the narrating memory. Column, stories, reports, etc.

Confusion ... Uncertainty ... What is it about? What distress is necessary, what essential distress? These images are not photographs. The "evidence":  that silence. Or those silences.

The "patina" representation on these images. What is happening here does not care about what is said, what might try to be said ... It's a bed covered with a white cloth, a bed surrounded by white curtains, a bed from which hangs directly above this handle called bed trapeze. So what? This is a puddle on the floor, a puddle on a dirty floor, a puddle in which facades are reflected. So what? These are walls and this is a gate and, beyond, the diagonal of a light that goes down from a basement window. So what? So what? So what? ... The description always stumbles. Nothing that is said summarizes what is given to see.

Confusion ... Uncertainty ... What is it about? What distress is necessary, what essential distress? These images are not photographs. The "evidence", it's not with the memory that they interact, it's with the oblivion. Or with the abandonment, its accomplice. "Poses" for these photographs not what is happening or what happened, but the absence. Or some sort of retreat. Spaces, objects and places "retired" Expression that a common alphabetical and analogical dictionary of the french language refers as old-fashioned. Relegated spaces pose, in exile from what has been their history. The one of a hospital, an abbey, a prison, perhaps a cellars, ... which has not the slightest importance.

Confusion ... Uncertainty ... What is it about? What distress is necessary, what essential distress? These images are not photographs. The abandonment Poses. The dust Poses. This is Bossuet's order always repeated, "Sleep on, ye rich men of the earth, and remain in your native dust." The reality is no more than marks. And these marks are not the matter of the nostalgia nor the gloom.

And despossessed of rustling and rumors of the memory, these images, where the color isolated, are no more than silence, than light. They are an asceticism.
 Confusion ... Uncertainty ... What is it about? What distress is necessary, what essential distress? These images are not photographs. Because they refuse to solicit. They are a requirement. They summon to recognize the time. The time that has posed. It remains to consider  Euripides's words: "Time will reveal everything to posterity; it is a babbler and speaks even when no question is put."

Pascal Bonafoux
In « Eric Aupol, photographies 2000-2004 »
Images En Manœuvres éditions