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Transit

« Transit », la proposition visuelle autant que spatiale pensée par Eric Aupol pour la Maison de Marijke Schreurs, distribue dans l’espace d’exposition des photographies couleurs réalisées à l’intérieur de bâtiments dont la particularité est de se situer entre le lieu public et le lieu privé : hôtels, maisons particulières au statut hybride comme celle de Marijke Schreurs où furent réalisées plusieurs images, et autres résidences temporaires visitées par l’artiste lors de ses voyages au Mexique, au Maroc ou en Europe. Ces chambres, ces pièces, ces vues de couloirs, vides de toute présence humaine, ont le dépouillement monacal propre à ces lieux « de transit ». On peut également qualifier ceux-ci de lieux « de passage » non pas au sens de « non-lieux » mais plutôt d’endroits où l’on ne séjourne qu’entre deux destinations, dans les intervalles du temps, soit un terrain propice à la circulation, à la déambulation et à la réflexion qu’elle engendre chez le voyageur.

Le choix de l’auteur s’est porté sur des lieux dont la tonalité générale est le blanc, couleur qui, lorsqu’elle est majoritaire dans un espace, peut perturber visuellement notre perception des distances, des plans et des échelles et dont la photographie explore ici les limites optiques et physiques. La blancheur virginale des couloirs, des chambres, des salles (dont une évoque, par sa spatialité, les tableaux du peintre hollandais Saenredam), n’est troublée que par la présence de quelques objets du quotidien -tissus, lit, carré énigmatique d’un interrupteur… Dans ces images silencieuses, ces points de repères qui ont la discrétion des choses harmonieuses ou l’impalpabilité de l’évanescence, permettent à l’œuvre de ne pas verser dans l’abstraction malgré ses allures de monochrome.

La lecture du travail dans sa globalité révélera que si certaines images d’Eric Aupol sont techniquement fortes, l’auteur dépasse cette maîtrise formelle pour accéder en réalité à une donnée primordiale de son œuvre : la saisie de la lumière dans son immatérialité. La source de cette luminosité étant voilée (au sens propre comme au sens figuré), un hors-champ sensuel et intemporel est offert en contrepoint au caractère clos des lieux.

Le travail laisse lire en filigrane la présence de l’auteur se confrontant aux espaces et plus encore à lui-même. Parce qu’il s’agit d’un parcours présenté dans l’espace d’exposition, parce qu’il s’agit de lieux qui parfois donnent l’impression de ne mener nulle part -couloirs aux issues invisibles ou improbables, impasses défiant nos habitudes visuelles et intellectuelles-, tout finit, dans cet intime labyrinthe, par renvoyer à une recherche intérieure et à une spiritualité qui était déjà tangible dans la série consacrée au centre pénitentiaire de Clairvaux. Le parallèle a déjà été fait, à propos de ce travail antérieur, avec les « Prisons » de Piranèse. Si les vues de « Transit » sont plus stables, moins angoissantes, appelant moins la sensation de claustrophobie, elles nous replacent néanmoins dans le contexte du rêve éveillé voire de la psychanalyse. La quête personnelle réalisée par le truchement du médium photographique ne connaît pas de repos ; le passage, le voyage est sans cesse relancé, telle une invitation à refaire le parcours à la suite de l’artiste et, comme lui, à percevoir le lieu par le biais du cheminement mental…

Anne Wauters


  English 

Transit

"Transit", the visual proposal, as much as spatial, thought by Eric Aupol for the Maison de Marijke Schreurs, places in the exhibition space color photographs made inside buildings, whose characteristic is to be set between the public place and the private place: hotels, particular houses with hybrid status such as Marijke Schreurs's, where several images were realized, and other temporary residences visited by the artist during his travels in Mexico, Morocco and Europe. These chambers, these rooms, these corridors views, empty of any human presence, have the monastic bareness proper to these 'transit' places. One may also call those places "of passage", not in the sense of "non-places" but of places where one stays only between two destinations, in intervals of time, that is to say a ground suitable for circulation, wandering and reflection that it engenders in the traveler.

The author decided to choose places whose general tone is white, color that, when it's the majority one in a space, can visually disrupt our perception of distances, plans and scales, and whose photography here explores the optical and physical limits. The virginal whiteness of corridors, chambers, rooms (whose one evokes, by its spatiality, paintings made by the Dutch painter Saenredam) is only disturbed by the presence of some everyday objects - cloth, bed, enigmatic square of a switch ... In these quiet images, these landmarks that have the discretion of harmonious things or the impalpability of evanescence, allow the work of art not to slip into abstraction, despite its monochrome looks.

Reading of the work in its entirety reveals that while some of Eric Aupol's photographs are technically strong, the author goes beyond this formal mastery to actually reach a primordial element in his work : grasping the light into its immateriality. The source of this luminosity being veiled (literally as well as figuratively), a sensual and timeless hors-champ is simultaneously offered to the enclosed character of the places.

The work allows to implicitly read the presence of the author, confronting with spaces and even more with himself. Because it is a path presented in the exhibition space, because it is about places that sometimes give the impression they do not to lead anywhere - corridors with invisible or improbable way out, impasses defying our visual and intellectual habits-, everything ends, in this intimate labyrinth, by referring to an inner research and a spirituality that was already tangible in the series devoted to the Clairvaux Prison. The parallel has already been done, about this prior work, with Piranesi "Prisons". If the views of "Transit" are more stable, less frightening, causing less claustrophobic feeling, they nevertheless put ourselves in the context of daydream or psychoanalysis. The personal search made by the means of expression of the photographic medium doesn't know any rest : the passage, the journey is always revived, as an invitation to repeat the path of the artist and, like him, to perceive the place through the mental progression.

Anne Wauters